LES COMMISSIONS DE CONTROLE DES SPECIALITES PHARMACEUTIQUES AU XVIII° SIECLE (Communication de M. Bouvet, 1922)
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Les ordonnances royales créant au XVIII° siècle les commissions d’examen des remèdes secrets semblent si draconiennes qu’il nous paraît utile de justifier tout d’abord leur sévérité. Si le pouvoir royal a pris des mesures extrêmes pour limiter le nombre des spécialités pharmaceutiques, c’est qu’elles étaient devenues un vrai péril par leur nombre sans cesse croissant et par l’incompétence de la plupart de leurs propriétaires. Leur nombre augmentait sans cesse parce que le métier rapportait beaucoup d’argent et de gloire et qu’il était accessible à tous. Nous voyons en effet Ailhaud, l’heureux inventeur du remède universel, partir d’une situation très modeste et devenir à la fin de ses jours conseiller du roi et seigneur de Monjustin, Vitrolles et Castelet. Son fils est nommé baron du Castelet, gouverneur de Forcalquier et vit dans l’opulence. De plus les inventeurs sont consultés quand quelque illustre personnage se trouve en danger de mort. C’est l’empirique Le Brun, guérisseur de la gangrène, qui prend près de Louis XIV mourant la place de Fagon, son illustre médecin et quelques heures avant la mort du grand roi c’est le remède du Père Tranquille (Abbé Aignan) que la duchesse du Maine propose comme arme suprême contre la mort imminente. C’est l’épicier Garus « alors dans sa première vogue » qui est appelé au chevet de la duchesse de Berry, princesse également célèbre « par l’esprit, la beauté, les grâces, la folie et les vices ». Le puissant Chirac doit, en maugréant, lui céder la place. Enfin, quand Louis XV est malade à Metz, ce sont les gouttes du général La Motte qui lui sont administrées, sans succès d’ailleurs, par son premier chirurgien La Peyronnie. De nos jours, pour lancer en France une spécialité pharmaceutique, il faut avant tout réunir les quatre éléments suivants* :
Et tous nos confrères savent que ce quatrième facteur est le plus important. Au début du XVIII° siècle au contraire, n’importe quel artisan peut prétendre à de tels bénéfices et à de telles gloires. Le diplôme d’apothicaire est tout à fait inutile pour créer une spécialité pharmaceutique ; nous avons montré récemment qu’un horloger, un général, des religieuses… fabriquent et vendent impunément des remèdes de leur invention. Le nom choisi pour la spécialité est ordinairement des plus simples : Elixir d’or, Poudre d’Ailhaud ou Remède Universel, Elixir de Garus, Elixir blanc, Baume oriental, Thé des Alpes, Eau balsamique, Eau verte, etc., et les spécialistes n’ont recours qu’exceptionnellement aux mots bizarres qui encombrent nos catalogues actuels. En remaniant plus ou moins les innombrables panacées qui figurent dans les recueils spéciaux de l’époque, les « secrets » de Blégny, par exemple, les amateurs trouvent facilement la formule d’une préparation susceptible de lancement. Enfin, le facteur « argent » n’a pas l’importance actuelle ; la publicité dans la plupart des journaux est gratuite ; quant aux brochures de propagande, les futurs clients consentent souvent à les payer : Ailhaud vend 12 sols sa brochure de 1746 sur le Remède Universel ; Agirony offre sa brochure de 1771 sur le Remède Antivénérien au prix de 1 livre 4 sols, etc. Aussi les spécialités pharmaceutiques pullulent : tout le monde veut s’enrichir en exploitant la crédulité publique. On comprend quels dangers courent les pauvres malades, sollicités de tous côtés par des guérisseurs non qualifiés. Les pouvoirs publics, pendant la plus grande partie du XVIII° siècle, essaient de moraliser, d’assainir le commerce des spécialités pharmaceutiques et nous pouvons citer huit ordonnances royales concernant ce problème important et complexe.
Le premier acte officiel concernant le contrôle des remèdes secrets est l’édit du 3 juillet 1728 rendu par Louis XV « en son conseil ». Nous reproduisons ci-dessous le passage essentiel copié sur l’original des Archives Nationales. « …Sa Majesté étant informé que plusieurs particuliers sans qualité distribuent dans la ville et fauxbourgs de Paris, des remèdes prétendus spécifiques, dont il peut résulter des Inconvénients d’autant plus dangereux que ces particuliers sans consulter les médecins ny aucunes personnes de l’art, dispensent ces remèdes au hasard et à des malades de tous âges et de tout sexe : Et comme il est à propos de s’assurer des bons remèdes, en proscrivant ceux qui peuvent devenir préjudiciables. SA MAJ. étant en son conseil, a ordonné et ordonne que toutes les personnes sans exception, qui ont cy devant obtenu des Brevets, permissions et privilèges pour la distribution des remèdes spécifiques et autres quelqu’ils puissent être, soient tenues de les rapporter ou envoyer dans deux mois à compter du jour de la publication du présent au St Lieutenant général de police de Paris pour après examen fait desdits Brevets, permissions et privilèges, ensemble des remèdes dont ils autorisent la distribution, être par Sa Majesté statué ce qu’il appartiendra tant pour la confirmation que pour la révocation des dits Brevets, permissions et privilèges, s’il y échet : fait Sa Majesté très expresse deffense à tous ceux qui ne les auront point rapporté ou envoyé dans le dit terme de 2 mois, de distribuer aucuns remèdes… ». Le roi charge le lieutenant général de police de l’exécution de cet édit et il annonce une peine de 500 livres d’amende pour les contrevenants. Mais il reste à créer la commission chargée de l’examen des remèdes secrets, Louis XV donne la composition de cette savante assemblée dans l’édit du 25 octobre 1728.
Cette commission se compose de 12 membres : 5 médecins, 5 chirurgiens et deux apothicaires. Ce sont : Dodart, premier médecin du roi ; Helvétius, premier médecin de la reine ; Geoffroy, doyen de la Faculté de Médecine ; Gylna, Vernage, médecins ; Maréchal, premier chirurgien du roi ; La Peyronie, premier chirurgien du roi ; S. Mareschal, Malanal et Petit, chirurgiens ; Bolduc et Geoffroy, apothicaires.
En mars 1731, deux membres de la commission sont morts : ce sont Dodart et Geoffroy (médecin). Louis XV nomme à leur place, le 11 mars, son premier médecin Chirac et le doyen de la Faculté de Médecine, Baron. Il ordonne de remettre les remèdes à essayer au sieur Levrault, lieutenant général de police, pour « ensemble faire l’analyse et tel autre examen des dits remèdes qu’ils jugeront nécessaires ». Quelques jours plus tard, le 17 mars, paraît une nouvelle ordonnance royale qui renouvelle les ordonnances antérieures et les précise sur plusieurs points importants.
L’article 1 de cet édit annonce que le premier médecin ne peut accorder les brevets qu’après avis de la commission ; de plus, ces brevets doivent contenir l’énumération des maladies guéries par le remède dont ils autorisent la vente. L’article 2 fixe à trois ans seulement la durée de validité de ces brevets ; il spécifie de plus qu’ils ne seront renouvelés que si les certificats des médecins et chirurgiens qui ont employé les remèdes brevetés leur sont favorables. Une amende de 1.000 livres est prévue pour la punition des délinquants. L’article 4 réglemente la publicité en ces termes : « … Ordonne Sa Majesté que l’original des affiches sera conforme à la teneur des brevets qui les autoriseront, et visé du premier Médecin ou de tel autre qui sera par luy préposé à cet effet, à peine de 500 livres d’amende ». L’article 9, enfin, interdit complètement la vente des remèdes non autorisés. « … Fait Sa Majesté deffenses à tous Gouverneurs et Magistrats des villes dans les Provinces de permettre à des gens sans qualité, comme opérateurs et autres de distribuer et débiter aucuns remèdes, s’ils n’ont esté approuvez de la Commission et qu’il ne leur soit apparu de l’expédition des brevets ou Privilèges dans les formes cy-dessus ». V. Edit du 13 octobre 1752. L’édit du 13 octobre 1752 renouvelle les prescriptions des ordonnances antérieures et réorganise la commission ; il y figure alors 6 médecins, 4 chirurgiens et 3 apothicaires. Ce sont : Senac, premier médecin du roi ; Helvétius, premier médecin de la reine ; Le doyen de la Faculté de Médecine ; Pousse, Vernage et Malouin, médecins ; La Martinière, premier chirurgien ; Foubert, Fagé et Andouillé, chirurgiens ; Le premier garde-apothicaire ; Boulduc et Lièges, apothicaires. L’article 2 indique que les remèdes autorisés ne pourront être prescrits que sous la direction du médecin. Nous possédons les preuves du fonctionnement normal de la commission par les annonces des spécialistes du temps : à titre d’exemple nous reproduirons un extrait du Mercure du France de décembre 1752. Il y est dit que le Baume composé par « Harington de la Corderie, chevalier des Ordres Royaux, Militaires et Hospitaliers de Notre-Dame du Mont Carmel et de Saint Lazare, pour la cure des paralysies et des rhumatismes tant simples que gouteux… a été approuvé le 12 août 1751 par la Commission Royale de Médecine… ». VI. Edit du 10 septembre 1754. Le 10 septembre 1754, Louis XV, nous ne savons pour quelles raisons, porte à huit le nombre de médecins, celui des chirurgiens et des apothicaires restant le même. Tout comme aujourd’hui, le régime des recommandations fonctionne activement : le « piston » joue énergiquement dans le but d’éviter les rigueurs de la loi. Nous en trouvons la preuve dans la lettre suivante de de Sertine au R. P. Félix, « religieux Augustin habitant à Villemomble près de Bondy ». Voici cette lettre. A Paris, ce 14 juillet 1762. J’ay reçu, Mon Révérend père, les différentes lettres que vous avez pris la peine de m’écrire. En faveur de la De Moreau. Tant que le remède qu’elle distribue ne sera pas autorisé je ne pourraye pas, quelqu’envie que j’aye de vous faire plaisir, luy permettre d’en continuer la distribution. Elle n’ignore pas, ny celuy qui l’employe, ce qu’ils ont à faire et c’est à eux à se mettre en règle. Je suis très parfaitement, Mon Révérend père, vôtre très humble et très obéissant serviteur. de Sertine.
La commission fournit un travail important : nous en avons la preuve dans la longue liste de remèdes autorisés qui figurent dans l’Essai sur l’Almanach général d’indication… des 6 corps, Arts et Métiers 1769. Nous jugeons utile, malgré la longueur d’un tel document, de reproduire le texte d’une de ces lettres patentes accordées par le roi après avis de la Commission Royale de Médecine et nous choisissons celles accordées à Agirony dont le Remède Antivénérien a eu un grand succès à la fin du XVIII° siècle. Voici le texte : Lettres patentes accordées à Agirony. « Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : à tous ceux qui ces Présentes verront. Salut : notre cher et bien-aimé Barthelemi Agirony, Nous ayant fait représenter que par ses soins et son application à l’étude de la Pharmacie, il seroit parvenu à découvrir plusieurs Secrets utiles à l’humanité, et principalement à composer un Baume odorifique pour les fluxions de la tête et un Remède Antivénérien, qu’ayant soumis ces découvertes au jugement de notre Commission Royale de Médecine, le sieur Sénac, notre Premier Médecin, d’après le compte qui lui en a été rendu, lui auroit fait accorder par ladite Commission une permission de composer, vendre et débiter lesdits Remèdes tant dans notre bonne Ville de Paris que dans toute l’étendue de notre Royaume pendant l’espace de trois années ; mais que ce terme trop limité ne pouvoit pas lui fournir les moyens de se dédommager des dépenses qu’il auroit été forcé de faire pour parvenir à ces découvertes, qui ne sont que le fruit d’un travail long et pénible et de dépenses multipliées ; pourquoi il Nous auroit très humblement supplié de vouloir bien lui accorder un Privilège exclusif pendant le temps de quinze années consécutives, à l’abri duquel il puisse travailler librement et le garantir des contrefactions auxquelles il seroit exposé. A ces causes, voulant traiter favorablement ledit Exposant et procurer de plus à nos Sujets les secours dont ils ont besoin et qu’ils doivent attendre des bons Remèdes vus et reconnus par la Faculté Royale de Médecine : de l’avis de notre Conseil, qui a vu ladite Permission donnée audit sieur Agirony, signé Sénac, notre Premier Médecin, et ci attaché sous le contre-cel de notre Chancellerie et de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité Royale, Nous avons par ces présentes, signées de notre main, permis et accordé, permettons et accordons audit Exposant de composer, vendre et débiter par lui ou par telles personnes qu’il voudra commettre, tant dans notre bonne Ville de Paris que dans toute l’étendue de notre Royaume, où il jugera à propos, son Baume odorifique pour les fluxions de la tête, et son Remède Antivénérien, par Privilège exclusif pendant l’espace de quinze années consécutives, à compter du jour de l’enregistrement des présentes. Faisons défense à toutes Communautés et à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient de contrefaire lesdits Remèdes dans toute l’étendue de notre Royaume, ni de troubler ledit Exposant dans l’administration desdits Remèdes pendant ledit temps de quinze années, à peine contre les Contrevenants de mille livres d’amende, applicables un tiers à Nous, un tiers aux pauvres de l’Hôpital le plus prochain du lieu où la contravention aura été commise, et l’autre tiers au profit de l’Exposant, en outre de confiscation desdits Remèdes contrefaits et de tout ce qui aura servi à leur composition ; n’entendons néanmoins que ledit Privilège exclusif puisse nuire à d’autres Remèdes plus anciens, et dont la propriété est différente et qui se débitent, soit en vertu de semblables Privilèges, ou par permission de notre Commission Royale de Médecine, ou autres Remèdes qui pourroient être découverts par la suite et être destinés à d’autres usages. Si donnons en mandement à nos amés et feaux Conseillers les Gens ténant notre Cour Parlement à Paris, et à tous autres nos Officiers et Justiciers qu’il appartiendra, que ces Présentes ils ayent à faire registrer et du contenu en icelles faire jouir et user l’Exposant pleinement et paisiblement pendant ledit temps de quinze années, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchemens, et nonobstant toutes choses à ce contraires Car tel est notre plaisir. Donné à Versailles, le vingt unième jour du mois de juin, l’an de grâce mil sept cent soixante neuf, et de notre règne le cinquante quatrième. Signé LOUIS, par le Roi PHELYPEAUX, avec grille et paragraphe. Registrées, ce consentant le Procureur-Général du Roi, pour jouir par l’Impétrant de leur effet et contenu, et être exécutées selon leur forme et teneur, suivant l’Arrêt de ce jour. A Paris, en Parlement, le 9 juillet 1770. Signé ISABEAU, avec paraphe ».
Il faut penser qu’au XVIII° siècle la question des remèdes secrets était aussi difficile à régler qu’elle l’est actuellement, car dès 1772, Louis XV est obligé, pour lutter contre les délinquants, de remanier les édits précédents et de les compléter pour rendre les infractions plus difficiles. Dans la préface de cette déclaration qui organise également le commerce des eaux minérales, le roi écrit en effet : « Les inconvénients trop multiples qui résultent au grand détriment de nos Sujets, de la témérité avec laquelle un n ombre considérable de Particuliers, sans titre ni qualité, dispensent au hasard dans toute espèce de maladies, des remèdes prétendus spécifiques, inconvénients d’autant plus funestes, que l’intérêt de ceux qui les distribuent, en inspirant une confiance aveugle, est d’écarter les secours que les malades pourroient tirer des Maîtres de l’Art, Nous ont déterminés à arrêter les progrès de ces entreprises par un Régiment qui ne laissât rien à désirer… ». L’article premier accorde un délai de trois mois aux détenteurs de brevets, privilèges ou permissions, pour faire examiner à nouveau leurs remèdes pour confirmation ou annulation. Les délinquants sont passibles d’une amende de 3.000 livres. L’article 2 exempte cependant de ces démarches ceux qui ont obtenu des lettres patentes ou brevets depuis le 1er janvier 1772. L’article 3 mérite une reproduction intégrale, car il précise nettement la composition de la Société Royale de Médecine : « Lesdits remèdes particuliers, ainsi que ceux qui pourront être proposés à l’avenir seront examinés dans un Bureau établi à cet effet sous le titre de Commission Royale de Médecine, laquelle sera composée de vingt commissaires : sçavoir, de notre premier Médecin, de notre premier Chirurgien, de nos Médecins et Chirurgiens ordinaires, du Médecin de la Reine ou de celui de Madame la Dauphine, de deux de nos Médecins servans par quartier, qui seront par Nous nommés à cet effet ; du Doyen de la Faculté de Médecine de Paris, et de deux autres docteurs en Médecine au choix de ladite Faculté, du Lieutenant de notre premier Chirurgien, et du plus ancien Prévôt en exercice au Collège de Chirurgie de Paris, du directeur, Vice-Directeur, Secrétaire perpétuel et du Commissaire des Correspondances de l’Académie Royale de Chirurgie ; de deux Apothicaires de notre Corps, qui seront aussi par Nous nommés à cet effet ; du premier Garde-Apothicaire en Charge de Paris, et d’un quatrième Apothicaire, au choix des autres membres de la Commission ». Cette commission est présidée par le premier médecin du roi ou à son défaut par le doyen de la Faculté de Médecine. Elle ne peut prendre aucune décision que s’il y a au moins sept membres présents (art. 4) et siège en principe une fois par mois (art. 5). Les articles 6 et 9 précisent dans quelles conditions pourra être faite la publicité ; il est dit : « Défendons à ceux qui auront obtenu lesdites permissions de les faire annoncer dans les papiers publics sans mettre en tête la copie de leurs brevets et sans avoir fait viser lesdites annonces par le Greffier de la Commission, lequel sera tenu de veiller à ce qu’il n’y soit rien inséré qui ne soit conforme aux Délibérations, par lesquelles les remèdes auront été approuvés ». L’article 8 prévoit la nomination au sein de l’assemblée, de commissions pour analyser et essayer les nouveaux remèdes présentés, faire des enquêtes sur les remèdes anciens, etc. L(article 9 limite à trois ans la durée des autorisations qui pourront être accordées. Nous citerons pour terminer, les articles 12 et 14 qui précisent les conditions d’exploitation de la spécialité : XII Les particuliers dont les remèdes auront été approuvés, ne pourront les distribuer dans les Villes et Lieux de notre Royaume qu’après en avoir obtenu la permission de Officiers de Police, lesquels ne pourront l’accorder que sur le vu de leurs Brevets. XIV Les Particuliers qui auront obtenu lesdits Brevets et permissions, même ceux qui seront pourvus des Lettres Patentes, ne pourront les transporter ou les communiquer à d’autres Particuliers, ni établir des Commissionnaires pour la distribution de leurs remèdes, sans avoir fait enregistrer au Greffe de ladite Commission leur cession ou transport… Ne pourront lesdits Commissionnaires, à moins qu’ils ne soient Médecins ou Chirurgiens, prescrire l’usage desdits remèdes que sous la direction d’un Médecin ou d’un Chirurgien… ».
Malgré l’édit de 1772, la situation reste confuse ; nous en donnerons comme preuve la liste des remèdes autorisés publiée dans l’Etat de Médecine pour 1776. On y trouve, en effet, cinq catégories de remèdes autorisés :
Enfin, pour embrouiller encore plus complètement la question, l’Etat de Médecine donne dans une sixième liste le nom de spécialistes qui, très connus dans Paris, n’ont cependant aucune permission. Ce sont :
Avant d’arriver à l’édit célèbre de 1778, nous donnerons d’après l’Etat de Médecine pour 1777, la composition de la Commission Royale de Médecine de cette époque. Elle comporte 23 membres, 8 médecins, 9 chirurgiens, 5 apothicaires, 1 greffier. Médecins : Lieutard, de Lassone, Le Monnier, de Lavaigne, Raulin, de l’Epine, Belleteste et le doyen de la Faculté de Médecine. Chirurgiens : de La Martinière, Andouillé, Boiscaillaud, Goursaud, Amy, Bordenave, Dufouart, Louis, Sabatier. Apothicaires : habert, Jamart, Laborie, Desprez, Mitouard. Greffier : Nogaret. Les assemblées se tiennent alors au vieux Louvre, dans l’appartement de l’Infante, le premier jeudi de chaque mois, à quatre heures du soir.
Par ces Lettres Patentes, le Roi Louis XVI, désireux de contribuer aux progrès de la science, annonce la création de la « Société Royale de médecine », composée de « personnes expérimentées dans la science propre au traitement des maladies de toute espèce » qui s’assembleront « dans la vue de parvenir à former une collection, tant des observations que leur expérience personnelle leur permettroit de réunir, que de celles qui leur seroient procurées par les correspondances que nous les avons excités à entretenir avec les médecins les plus célèbres des provinces et même des pays étrangers ». Cette Société n’est autre chose que la « Société et Correspondance Royale de Médecine » créée par le roi le 29 avril 1776, pour l’étude des maladies épidémiques. Elle voit simplement croître notablement ses attributions, puisqu’en plus de l’étude des épidémies, elle s’occupe du commerce des eaux minérales et de l’examen des remèdes secrets. Voici l’article 10 : il concerne cette dernière attribution qui nous intéresse plus spécialement : « Attribuons à ladite Société l’examen des remèdes nouveaux, tant internes qu’externes, de quelque nature qu’ils puissent être, pour lesquels on nous demanderoient des Brevets. Voulons qu’aucun desdits remèdes ne puisse être vendu et distribué sans une délibération de la Société qui les aura admis et sur laquelle il sera expédié par le Secrétaire d’Etat ayant le département de notre Maison, des Brevets en la forme ordinaire : Révoquons, en tant que de besoin, la Déclaration du 25 avril 1772… ». Il est cependant fait exception pour les remèdes externes et chirurgicaux, pour l’examen desquels un comité spécial est constitué, comprenant le président de la Société Royale de Médecine (ou à son défaut le directeur, le vice-directeur, le secrétaire perpétuel de la Société ou le doyen de la Faculté de Médecine de Paris), quatre membres de la Société choisis parmi les docteurs de cette même Faculté, le premier chirurgien du roi et enfin cinq chirurgiens désignés par cette Société. De plus, « Serons renouvelés chaque année les membres de ce comité particulier à l’exception des officiers de la Société, du doyen de la Faculté et de notre premier chirurgien ». Il nous reste pour terminer à donner quelques renseignements sur la composition de la Société Royale de Médecine, très différente des commissions précédentes, car elle ne comporte plus ni chirurgiens, ni apothicaires. A cette époque, la Société se compose :
Cette savante société fonctionne très sérieusement ; nous en voyons la preuve dans l’incident suivant : Dans le Journal de Paris du 27 juillet 1780, le sieur Faynard annonce sa « poudre vulnéraire » et la vante au public en termes pompeux. Quelques jours plus tard, le même journal produit un avis de Vicq d’Azyr qui fait connaître que les commissaires de la Société Royale de Médecine n’ont pas autorisé la vente de cette poudre et qu’il est urgent de prévenir le public.
CONCLUSION-Cette étude succincte montre l’œuvre immense entreprise au XVIII° siècle par les pouvoirs publics, pour assainir le commerce des spécialités pharmaceutiques. Le législateur moderne pourra lire avec profit ces vieux textes, mis au point par des travailleurs réfléchis, consciencieux qui, sans téléphone, sans automobiles… et sans électeurs, pouvaient établir, dans le calme nécessaire au travail sérieux et fécond, des lois justes et surtout applicables. Il pourra aussi mettre définitivement au point cette épineuse question des remèdes secrets et compléter l’œuvre du fisc, qui, en imposant aux spécialistes l’obligation de publier leurs formules ou de payer une taxe de 10% a mis en œuvre un levier plus puissant que toutes les commissions… l’intérêt.
Maurice Bouvet
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Référence : M. Bouvet. Revue d’Histoire de la Pharmacie Juillet 1922 : 88-94 * les choses ont bien changés depuis 1922, sauf le besoin d’argent ! |