Nous avons vu lors d’une exposition précédente « les nouveaux remèdes de 1893 ». Deux ans plus tard, nous examinons les produits dont les publicités apparaissent dans l’Illustration en 1895. Il y a alors un produit phare : les Anneaux de Wasmuth dans la montre, contre les cors aux pieds.

Terrible naufrage : « les anneaux de Wasmuth, épaves du naufrage, sont tombés dans les mains d’une tribu sauvage qui, n’en sachant le prix, gaspille ces trésors au lieu de les garder pour détruire leurs cors ».
L’Illustration, 2 février 1895
Les anneaux de Wasmuth ont fait l’objet d’un article dans notre Revue par Thierry Lefebvre en 2004. Ils étaient présentés stockés dans une sorte de montre à gousset. la marque avait été déposée le 29 mars 1894 au greffe du tribunal de commerce de la Seine par un certain Siegfried Gotthelf, négociant à Paris.
Né le 30 mai 1843, Vollrath Wasmuth exerça la profession de pharmacien à Wittenberg. En 1887 ses trois fils vont lancer la société A. Wasmuth & Cie qui lança les fameux anneaux vers la fin 1893 ou au tout début 1894.
En France, la distribution était assurée par les pharmaciens Michelot et Lesueur, 2 rue du Marché-des-Blancs-Manteaux à Paris1.
1. Thierry Lefebvre. Il y a 110 ans : les Anneaux de Wasmuth in : Revue d’histoire de la pharmacie, 92ème année, n°342, 2004, pp. 315-317.
Les publicités sur ces anneaux ont été illustrées par plusieurs thèmes dont on voit ici deux autres exemples :

« En vélo, si l’on veut arriver à la gloire, le pied sain est toujours un gage de victoire. Aussi, l’été prochain, tous les champions nouveaux de Wasmuth sur leurs cors porteront les anneaux…
L’Illustration, 5 janvier 1895
Une autre publicité très fréquente concerne les dentifrices qui se vendaient en pharmacie mais pas seulement. Le dentifrice des Bénédictions de l’Abbaye de Soulac, sous la direction de Dom Maguelonne est très présent dans l’Illustration de 1895. Nommé à Soulac en 1869, pour conduire la restauration de Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres, il lui faut trouver les moyens financiers pour le faire. Dom Maguelonne raconte avoir trouvé dans les archives des bénédictins, installés là au XIe siècle, la recette miracle d’un élixir doté d’extraordinaires vertus anti-carie. Comme on le voit sur cette illustrations, le produit sera cédé à Séguin, de Bordeaux. L’élixir de Soulac est vendu comme étant « supérieur à tous les dentifrices connus ». On peut lire que « la concurrence impuissante vient se briser contre la réputation cinq fois séculaire du précieux élixir des révérends pères de l’abbaye de Soulac, devenu le dentifrice à la mode et dont la vague s’étend à tous les points du monde » ou encore qu’il est recommandé à «toutes les personnes soucieuses d’avoir une solide bonne dentition, ce premier élément de la santé sans lequel, la mastication devenant mauvaise, une attaque de paralysie est sans cesse imminente». « Nous donnons le conseil de ne pas attendre que la carie se soit mise aux dents et la tuméfaction aux gencives ».
Les bénédictins ne sont pas les seuls à promouvoir un dentifrice. C’est aussi le cas de Gellé Frères à Paris, parfumeurs.
Ou encore l’eau de Botot « seul dentifrice approuvé par l’Académie de Médecine de Paris »

« Jugement sans appel. Thémis, les yeux bandés, sur un plateau rassemble tous les produits créés pour détruire les cors. les anneaux de Wasmuth, à part, seuls, sans efforts, pèsent d’un poids plus lourd que les autres ensemble ».
L’Illustration, 25 mai 1895


L’Illustration, 9 février 1895
Au passage, on peut voir un autre genre de publicité pour les maladies de peau auprès de M. Vincent, de Grenoble qui fait cela comme « la conséquence d’un voeu » !!

L’Illustration, 9 février 1895

Le messie attendu. A la pâle lueur de la lune argentée, apparaît comme un phare aux lumineux faisceaux, Wasmuth, qui va sauver notre âme tourmentée en soumettant nos cors au joug de ses anneaux.
L’Illustration, 16 février 1895

L’art du patinage : nous pouvons sans danger nous lancer sur la glace et montrer de Wasmuth les merveilleux effets. nos cors ont disparu, nous glissons avec grâce : aux célèbres anneaux, nous devons ces bienfaits. (Se trouve dans toutes les bonnes pharmacies) !
L’Illustration, 16 mars 1895

L’Illustration, 16 mars 1895
Un autre produit est vanté dans l’Illustration de cette année 1895 : l’Apiol de Joret et Homolle. En 1855, ces deux auteurs, médecins, avaient publié un « mémoire sur l’apiol, principe actif du persil, considéré comme fébrifuge et comme emménagogue ». Homolle était membre de la Société de Pharmacie de Paris (future Académie nationale de Pharmacie). En 1849, cette dernière avait posé le problème suivant: « découvrir les moyens de préparer artificiellement la quinine… à défaut, faire connaître un organique nouveau, naturel ou artificiel, ayant des propriétés équivalentes ». En effet, il y avait un fort risque de pénuries de quinquina, d’une part, et la quasi-monopole de l’exploitation du quinquina par les Anglais dans la province de Calysaya, au Pérou, était ruineux pour les fabricants, d’autre part.

Joret et Homolle indiquent dans leur mémoire que l’apiol, tiré du Persil, « réussit à couper les fièvres intermittentes de nos contrées aussi bien à peu près que la quinine… mais il n’agit pas avec la même efficacité sur les fièvres des pays chauds ». Ils racontent qu’en 1847, en manque de quinine, ils avaient fait prendre une décoction de Persil à un malade atteint de fièvre, ce qui l’avait guéri. A la suite de cette observation fortuite, Joret et Homolle vont poursuivre leurs essais « sur les pauvres malades » dont s’occupaient les sœurs de St Vincent de Paul de Vannes. Les auteurs indiquent aussi que ce n’était pas la première fois que le Persil était utilisé pour combattre les fièvres. Le docteur Péraire, par exemple, en 1841/42 préconisait diverses préparations à base de Persil : poudre de feuilles séchées, suc, alcoolat, hydrolat, vin et sirop de Persil, gelée de Persil, etc. La forme galénique recommandée par Joret et Homelle était la capsule en gélatine dont ils avaient confié la préparation à un pharmacien de Paris, Pujol (1799-1885)(137 rue St Denis jusqu’en 1862)

Publicité pour l’Apiol, 1898

Enfin, en réalisant leurs expérimentations sur les fièvres, Joret et Homolle constatent un effet emménagogue de l’apiol mais aussi une réduction des sueurs nocturnes des phtisiques. C’est également Homolle qui avait été impliqué dans la création du Fer Quevenne.
Marque déposée par Joret et Homolle en 1876 par Alfred Lamouroux (1840-1900), pharmacien à Paris, 150 rue de Rivoli, et diplômé en 1866. Il était associé à Briant, pharmacien à la même adresse à cette période.

L’Illustration, 9 février 1895
Autre produit présent dans l’Illustration de 1895 : le Digestif CLIN constitué de pepsine, pancréatine, acide chlorhydrique et de teinture de Baumé (d’après le formulaire Gardette de 1909).
La Maison Clin et Cie cédera le produit à Comar et fils et Cie par la suite dont le siège restera 20 rue des Fossés St Jacques à Paris.
Dans l’Illustration de 1895, il existe plusieurs publicités pour les sirop : le Sirop FLON, le Sirop CROSNIER, le sirop ZED pour les enfants, et le sirop Lamouroux. Ce dernier avait fait paraître en 1848 dans la Gazette des hôpitaux civils et militaires une lettre à l’éditeur assez curieuse, signée Pierre Lamouroux et Cie. On peut donc supposer que sa société et son produit existaient déjà.
« Monsieur le rédacteur,
Parmi les nombreux ouvrages qui ont paru sur les maladies de poitrine… aucun de sont parvenus encore à fixer nos idées sur les moyens qu’il faut employer dans telle ou telle de ces maladies.… Il y a donc à faire un travail sérieux qui n’a encore été entrepris par personne. Nous possédons déjà sur les médicaments pectoraux, et particulièrement sur le sirop pectoral que nous préparons, de nombreux éléments qu’il nous serait facile de grouper... »

L’Illustration, 16 mars 1895

Il y a bien d’autres produits mis en avant dans l’Illustration en 1895 : le Vin Mariani, les gouttes Livonniennes, la Poudre Rocher, la Migrainine, l’Antipyrine Knorr ou encore les cigares Joy. En dehors du vin Mariani, nous avons assez peu de données sur tous ces produits. En ce qui concerne la Migrainine, la Revue de thérapeutique et de pharmacologie de 1894 indique que « sous le nom de migrainine, M. Overlach préconise, comme un remarquable médicament antimigraineux, un mélange , en proportions définies, d’antipyrine, d’acide citrique et de caféine. La dose à prescrire est de 1, 10 g. chez l’adulte. » Martin Overlach était un médecin allemand de Francfort.

L’Illustration, 16 mars 1895
Quant à l’antipyrine du Dr Knorr, elle donna lieu à un procès à Paris. La Cour d’appel, le 8 avril 1909 condamne deux fabricants pour avoir usurper la marque du Dr Knorr.

L’Illustration, 9 mai 1895
Laroche , pharmacien 29 rue de Mirosmenil à Paris VIII° fabrique au XIXe siècle , le Quina Laroche, un vin reconstituant et fébrifuge à base de quinquina. C’était un extrait complet de trois sortes de quinquina : quinquina gris Loxa vert, quinquina jaune royal et quinquina rouge d’après la Vidal de 1914. Il était prescrit pour les adultes et les enfants !
En 1875, on peut lire dans le « Progrès médical » :
Nommer ce produit, c’est en faire la recommandation à nos confrères et aux malades. la maison qui prépare cet élixir à su arriver à un perfectionnement qui est une garantie incontestable. Le quina-Laroche est le résultat d’un travail chimique consciencieux : il réserve l’activité des trois espèces de quinquina les plus connues, dont les alcaloïdes sont seuls avantageusement ordonnés par les médecins; aussi le corps médical n’a pas été avare d’éloges et d’encouragements à l’encontre de ce produit. »
Au début du XXe siècle, il sera exploité par les laboratoires Clin , 20 rue des Fossés Saint Jacques à Paris.

L’Illustration, 25 mai 1895

L’Illustration, 4 mai 1895

L’Illustration, 16 mars 1895

pharmacien au 22 rue Drouot à Paris.
Parmi les sirops mentionnés dans l’Illustration de 1895, un des plus connues à l’époque est le sirop Crosnier, du laboratoire du même nom, qui aura la vie dure puisqu’il sera encore présent dans les années 1930. Le Sirop Crosnier était un « succédané avantageux des eaux sulfureuses ». D’après le Vidal de 1932, il s’agissait de « monosulfure de sodium inaltérable et goudron », approuvé par l’Académie de médecine. il était indiqué pour « les affections subaiguës ou chroniques des voies respiratoires, laryngites, lymphatisme, dermatoses, hydragyrisme, bismuthisme » chez l’adulte et chez l’enfant.

L’Illustration, 16 mars 1895
Enfin, on peut mentionner les gouttes livonniennes de la société Trouette-Perret. Cette Société existait depuis 1878 : les deux pharmaciens, François- Auguste-Édouard Trouette (né en 1855) et Perret, créent le laboratoire qui porte leurs noms. Les spécialités sont nombreuses à l’époque dont ces gouttes qu’on retrouvent dans le Vidal de 1932, 1946 et 1960. Il s’agit de Capsules de Goudron de Norvège, Créosote de Hêtre et de Baume de Tolu, destinées aux « Affections chroniques des voies respiratoires (Toux, Bronchites, Catarrhes). En 1932, les indications étaient beaucoup plus larges et incluaient « l’antiseptie des voies digestives ». En 1887, le dictionnaire populaire de médecine usuelle… recommandait ces gouttes « car il était difficile de réunir trois médicaments ayant des propriétés plus remarquables et plus efficaces… Ces trois médicaments associés se complètent et se corrigent l’un l’autre. En effet, le goudron et le tolu, ajoutés à la créosote de hêtre, font disparaître les inconvénients que présente cette substance qui, employée seule, est souvent mal tolérée à cause de sa causticité et de son odeur d’abord, ensuite à cause des nausées, des renvois et des vomissements qu’elle détermine chez bon nombre de malades ».

Cet aperçu de l’année 1895 montre la richesse en publicités pharmaceutiques dans l’Illustration, un journal « grand public » : des spécialités qui resteront dans l’ensemble très longtemps sur le marché.

