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Les cartes postales GOY sur l’histoire de la pharmacie

 

    Les cartes postales
    des Etablissements Goy
    sur l’histoire de la pharmacie
    à travers les âges

Les Etablissements GOY, dirigés au XXe siècle successivement par Maurice Bouvet et son gendre Henri Bonnemain, ont été marqués par l’Histoire de la pharmacie. On peut le constater en lisant les articles publiés dans le journal interne de la société, mais aussi à travers les publicités pharmaceutiques de GOY. Une première série célèbre de buvards avait porté sur les « Grands Pharmaciens ». L’entreprise avait également publié une série de carte postale, moins connue, sur la pharmacie à travers les âges. C’est cette série complète que nous présentons aujourd’hui. On peut y voir représenté une histoire sans doute romancée de la pharmacie à diverses périodes qui vont de l’Egypte antique à nos jours en passant par Rome et le moyen-âge. On ne peut pas dater ces documents de façon certaine mais ils sont probablement nés entre les deux guerres mondiales. Les illustrations sont d’une certain D. Desroches, dessinateur dont nous n’avons pas trouvé de trace dans d’autres documents. Nous allons accompagner ces cartes postales d’un résumé des chapitres de « L’histoire de la Pharmacie ou 7000 ans pour soigner l’homme » (Boussel et Bonnemain, 1977) qui reprenaient l’essentiel de « L’histoire de la pharmacie en France des origines à nos jours » de Maurice Bouvet.

  1. Une officine au temps de Rhamsès.

Comme on peut le voir à travers les écrits égyptiens de l’Antiquité, de nombreux médicaments ont été inventés et utilisés dès cette époque. Les dieux eux-mêmes dictaient aux hommes les prières qui devaient accompagner la prise des drogues prescrites par les médecins.

C’est un médecin exerçant sous le règne de Ramsès Ier, fondateur de la XIXe dynastie (1314 avant J.-C.) qui énonça ce précepte : «Les incantations sont excellentes pour les remèdes et les remèdes excellents pour les incantations ! »

Les formules magiques accroissant l’efficacité des médicaments, les Egyptiens disposèrent naturellement de très nombreuses formules, les unes générales, les autres adaptées à chaque cas particulier. Ainsi, pour donner plus de force à un purgatif, répétait-on en le buvant : ‘O hyène mâle, O hyène femelle, O destruction mâle et femelle ! ». Pour aider un remède chargé d’expulser un ténia : »Puissent ces mots expulser la progression grouillante de celui qui emplit mes entrailles ! C’est un dieu qui créa cet ennemi : puisse-t-il le détruire par le charme et expulser les désordres qu’il cause dans mon ventre ! ».


A la thérapeutique magique égyptienne succéda une thérapeutique positive. Il n’est pas indifférent de savoir que si les pharaons ont appelé l’Egypte Chim, mot signifiant la terre noire, le mot chimie dérive de ce Chim, les Egyptiens se trouvant les plus avancés dans la connaissance de la nature et des propriétés des corps simples ; de constater que le mot pharmacie est originaire d’Egypte, Ph-ar-maki -« Qui procure la sécurité »-  désignant le dieu Thôt ; de noter encore que les mots migraine (demi-tête, en égyptien, d’où en grec hemikrania, demi-crâne, migraine), ébène, gomme, etc., sont originaires des bords du Nil et que l’œil d’Horus, le dieu égyptien du soleil et de la santé, est à l’origine de la convention médicale de Recipe. L’œil que le dieu avait perdu dans une lutte contre Set, devenu plus tard le signe de Jupiter chez les Romains, ressemblait à un R. La lettre p aurait été ajoutée ensuite pour donner Rp : Recipe, prends et exécute l’ordonnance. C’est au moins ce qu’affirme le docteur Naguib Riad, historien de la médecine au temps des Pharaons.  Plus de 500 substances, empruntées aux trois règnes, figurent dans les papyrus médicaux découverts. Les Egyptiens usaient de potions, tisanes, décoctions, macérations, mixtures, pilules, bols, pastilles électuaires et, pour l’usage externe, de cataplasmes, onguents, emplâtres, collyres, pommades, inhalations, fumigations, suppositoires, lavements. Imhotep, qui fut architecte, astrologue, lecteur sacré, magicien et médecin du roi Zoser, deuxième pharaon de la troisième dynastie (vers 2800 avant J.-C.) avant de devenir dieu de la médecine, et, par conséquent, ancêtre d’Esculape, a donc eu de savants disciples et si ceux-ci vénéraient leur ancêtre, à leur tour les préparateurs de remèdes du XXIe siècle après J.-C. peuvent éprouver un certain respect pour leurs « anciens » des bords du Nil, il y a quelque trois mille ans.


2. La pharmacie à Athènes au temps d’Hippocrate

Hippocrate, avant d’être un initiateur fut un continuateur, l’héritier d’une tradition certainement longue mais dont les premiers chaînons demeurent obscurs. La civilisation crétoise, puis la civilisation mycénienne connurent, à n’en pas douter, un art pharmaceutique ; les Phéniciens jouèrent certainement un grand rôle dans le trafic des drogues et, navigateurs intrépides, firent des échanges entre des régions aussi éloignées que le bassin méditerranéen et les Indes.

Dans la Bible, au livre d’Ezéchiel, il est dit que le peuple d’Israël leur acheta du miel, l’huile et le baume, la casse et le Roseau aromatique, les drogues les plus exquises…

 

Mais ces drogues, ils ne les préparaient vraisemblablement pas eux-mêmes. « Ils ont tout emprunté aux peuples voisins pour leurs besoins personnels » a écrit M. Bouvet. Ils ont au moins su fabriquer, en verre, de fort curieux vases à onguents.  L’art pharmaceutique remonte au-delà des temps homériques et on en voit de nombreux éléments dans l’Iliade et l’Odyssée.

Dans ce dernier récit, la médecine prend un certain caractère magique, des poisons sont cités et quelques médicaments internes possèdent des pouvoirs miraculeux.


  Hélène apprit de Polydamna l’Egyptienne la vertu de nombreuses plantes, et en particulier, du Pharmacon Népenthès. Lorsque Ménélas reçut Télémaque dans sa demeure, Hélène jeta, dans le vase où ils puisaient du vin, du Népenthès, « suc magique, propre à calmer la douleur et la colère et qui fait oublier tous les maux. Quiconque en a bu, lorsqu’une fois on l’a mêlé dans le cratère, ne verse pas une seule larme, riant tout le jour, quand même son père et sa mère seraient morts, quand même son frère ou son fils chéri seraient égorgés avec l’airain en sa présence et sous ses yeux ». Successivement, il a été question, à propos de cette substance, de Haschisch, de Jusquiame, de Belladone, de Stramoine, de Mandragore et d’opium. C’est encore à l’opium qu’on songera lorsque les compagnons d’Ulysse, après avoir goûté du fruit enchanteur des Lotophages, ne pensèrent plus à leur message, ni au retour, mais voulurent demeurer chez les Lotophages*. Sous le nom d’Hippocrate, né vers l’an 460 avant notre ère dans l’archipel égéen des Sporades, à Cos, sont conservés plus de quarante traités médicaux attestant de l’immense importance de la médecine dans la vie intellectuelle des Grecs vers la fin du Ve siècle. Contemporain de Socrate et de Platon, de Sophocle et d’Euripide, de Thucydide et d’Aristophane, Hippocrate est traditionnellement considéré comme le père de la médecine. Il appartenait à la famille des Asclépiades. Son père, Héraclide, fut médecin comme le furent ses fils, Dracon, et Thessalus, et son gendre Polybe. Il eut de nombreux disciples. Toutes les maladies, selon Hippocrate, se terminent ou se guérissent par les évacuations qui se font par la bouche ou par le ventre, ou par la vessie, mais la sueur est commune à toutes les maladies ou les termine toutes également. Parmi les remèdes diurétiques, il recommandait l’ail, l’oignon, le poireau, le concombre, le melon, la citrouille, le fenouil, etc. Pour provoquer la sueur chez le malade, il demandait à celui-ci de manger beaucoup de farine cuite, de boire du vin pur, de s’envelopper dans des couvertures puis de se tenir en repos. S’il était nécessaire d’amener le sommeil, on usait de Pavot blanc ou noir, de racine de Mandragore, d’opium ou de semence de Jusquiame. On relève de nombreux médicaments, y compris des formules d’injections, de lavements de suppositoires et pessaires…

La pharmacie hippocratique est extrêmement riche. Sous des formes très variées, elle use des principaux produits du règne végétal mais n’ignore pas de nombreux produits du règne animal et tient compte de certains minéraux. Citons parmi les produits animaux : la fiente d’âne, la viande d’âne, le beurre, le cerf, la chèvre et son lait, sa graisse, sa fiente, sa peau, ses cornes, le chien, les grenouilles, etc. D’autres médecins célèbrent vont succéder à Hippocrate comme Sérapion, jugé « très vaniteux » par Galien, et qui qui faisait, dit-on, un tel usage des excréments de crocodile qu’il s’établit à Alexandrie un commerce frauduleux de contrefaçons. On peut citer aussi Héraclide de Tarente, disciple de l’hérophilien Mantias, qui avait écrit un Traité de médicaments et un livre sur l’Apothicaire dans l’iatréion.

 *Dans la mythologie grecque, les Lotophages (en grec ancien Λωτοφάγοι / Lôtophágoi) sont un peuple imaginaire cité dans l’Odyssée d’Homère


3.Les pharmacotribes* à Rome

Résumer la pharmacie à Rome est évidemment très difficile en quelques lignes tant ont été nombreux les acteurs déterminant sur les siècles de domination romaine. Caton l’Ancien, Pline, Galien, Oribase et bien d’autres ont marqué cette période et resteront des références pour de nombreux siècles encore. La boutique fondée à Rome, un peu plus de deux cent ans avant J.-C., par le Grec Archagathos tenait à la fois du cabinet de consultation, de la pharmacie et de l’hôpital, à l’exemple des maisons de secours que l’on trouvait dans les principales villes grecques de cette époque.

Le médecin y recevait les malades -généralement de petites gens-, pansait les plaies, vendait les remèdes qu’il avait préparés ou fait préparer sous sa direction, et, si la chose lui paraissait utile, gardait les cas les plus graves, nécessitant un surveillance ou des soins constants.

Il est possible, grâce à diverses pièces conservées dans les musées et au témoignage d’auteurs latins tel que Pline, de se faire une idée assez précise du matériel pharmaceutique utilisé dans ces officines. Pour la pulvérisation, les mortiers, souvent en agate, pouvaient également être en pierre, en plomb ou en cuivre. Des plaques superposées servaient aussi à l’écrasement des produits. Le praticien disposait de spatules, de cuillers, de compte-gouttes en bronze ou en os, de tamis et naturellement de divers fourneaux. Des vases en gypse et des écuelles de tailles variées servaient aux macérations, calcinations, infusions. Les médicaments étaient conservés dans des boites en bois ou en corne, dans des vases d’étain, de spots de terre, des flacons de verre… Non loin, se trouvaient des pinces, scalpels, cautères, lancettes, bistouris et aussi des bandes, compresses, éponges, charpie… indispensables pour accomplir la tâche chirurgicale.


Il n’est pas possible de laisser sous silence le rôle majeur de Galien. Philosophe, grammairien, physicien et astrologue aussi, médecin et pharmacologue naturellement, grand voyageur et violent polémiste, Galien a écrit sur tous les sujets. Né à Pergame vers l’année 130 après J.-C., Galien étudia la médecine après la philosophie à Pergame d’abord, puis à Smyrne, à Corinthe et à Alexandrie. Il exerça ensuite la profession médicale dans sa ville natale et à rome où il donna ses soins notamment aux empereurs Marc-Aurèle et Commode. Il aurait écrit plus de 500 ouvrages. Selon la doctrine galénique, les quatre humeurs -le phlegme, le sang, la bile jaune et la bile noire- sont elles-mêmes le produit des quatre qualités fondamentales : le chaud et le froid, le sec et l’humide. La maladie provient d’un trouble dans le régime des humeurs, et, par suite, pour la combattre, il convient d’user de médicaments chauds ou froids, secs ou humides.

Dans son traité des médicaments simples, Galien ne signale pas moins de 473 médicaments d’origine végétale mais ne néglige pas ceux d’origine animale. Il tient en particulière estime le remède de l’empirique Aeschrion contre la morsure de chiens enragés.Il se composait essentiellement de cendre d’écrevisses de rivière, brulées toutes vives dans un poêle d’airain jusqu’au moment où il était possible de les mettre aisément en poudre. Le traitement durait quarante jours. Si la cure était commencée sitôt la morsure, une grande cuillerée de cette cendre, délayée dans l’eau, pouvait suffire.

 * Les pharmacotribes, pharmacotrites, pharmacotritoe, étaient les pileurs, les broyeurs, les mêleurs de drogues, tels qu’on en voit à Paris dans la rue de la Verrerie et des rues adjacentes. On comparait leur monotone occupation au mouvement régulier du chronomètre, au battant d’une cloche destinée à appeler les chalands. Placés en dehors de leurs boutiques, les pharmacotribes en étaient, pour ainsi dire, l’enseigne vivante, et leur figure, zébrée et tatouée des nuances de toutes les drogues qu’ils travaillaient, témoignait de l’incrustation des atomes volatilisés dans leur peau squalide et maladive. (Phillippe, Adrien (1801-1858). Histoire des apothicaires chez les principaux peuples du monde… suivie du tableau de l’état actuel de la pharmacie en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique, par A. Phillippe,…. 1853.)

 4. Le pharmacien ambulant à Byzance.

La pharmacie byzantine est la suite, ininterrompue, de la pharmacie gréco-latine, les invasions barbares du Ve siècle n’ayant réussi à pénétrer la société orientale qu’au XVe siècle. Ainsi, pendant plus de dix siècles, la science du médicament et l’art de la préparation purent se maintenir et se perfectionner à Byzance. Nicolas de Myrepse n’écrira-t-il pas, au XIIIe siècle, le traité de matière médicale le plus complet qui ait jamais été vu ?

Parmi les grands noms de la médecine de cette époque, on peut citer les Saints Côme et Damien, devenus patrons des médecins, des chirurgiens et aussi de certaines corporations d’apothicaires. Au IIIe et IVe siècles nombreux furent, en Asie-Mineure, les médecins qui étaient en même temps prêtres, moines ou évêques et cette tradition chrétienne allait se poursuivre longtemps.

Le grand chirurgien byzantin, Paul d’Egine, au VIIe siècle, consacra la septième et dernière partie de son Abrégé de médecine, aux médicaments simples et composés. Au Xe siècle, le médecin de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète, Théophannès Nonnos, écrivit, sur l’ordre de son maître, un recueil en 727 chapitres sur les Médicaments faciles à se procurer. Michel Psellos, au siècle suivant, signalait dans son Traité sur les propriétés des pierres les vertus merveilleuses des pierres précieuses : l’agate est utile contre l’inflammation et les larmoiements de l’oeil, l’onyx permet de combattre la tristesse et les terreurs nocturnes, le jaspe est utile contre les maux de tête, le béryl contre les spasmes…


Le dernier médecin ayant laissé un nom dans l’histoire de Byzance est aussi celui  qui semble le plus intimement lié à l’art pharmaceutique : Nicolas de Myrepse – c’est à dire le préparateur de drogues- né à Alexandrie, vécut à Nicée puis à Byzance où il composa, entre 1270 et 1290, les quarante-huit chapitres de son traité Sur les médicaments. Il ne donnait pas moins de 2656 formules de médicaments composés et un grand nombre de préparations diverses. Il citait plus de drogues qu’aucun de ses prédécesseurs et mentionnait dans le plus grand détail la façon  de les préparer : onguents, sirops, emplâtres, suppositoires, électuaires, clystères, décoctions, parfums, collyres, cataplasmes, cérats, pilules, aromates, poudres, pastilles, julep,etc. L’ouvrage de Nicolas le Myrepse restera le guide des apothicaires de tout l’Occident, non seulement au Moyen-âge, mais jusqu’au XVIIe siècle et il est peu de livres scientifiques qui aient connu une pareille diffusion.


5. Les moines médecins et apothicaires au VIIIe siècle.

Cassiodore peut être considéré comme le continuateur des traducteurs, compilateurs et commentateurs qui avaient travaillé aux IIIe et IVe siècles. Né dans la seconde moitié du Ve siècle, il fut secrétaire de Théodoric, roi des Goths, puis questeur et maître des offices; plus tard, il devint préfet du prétoire sous Athalaric, avant de se retirer au monastère du Viviers, qu’il avait élevé et doté richement. Dans son monastère de Calabre, il composa ses Institutiones divinarum et Humanarum litterarum, compilation encyclopédique, et donna pour tâche aux moines de copier les manuscrits de sa bibliothèque et ceux qu’il pouvait acquérir; les plus instruits traduisaient en latin les œuvres grecques. Il leur recommandait l’étude de la médecine et particulièrement les livres d’Hippocrate, de Galien et de Caelius Aurelianus: il leur conseillait la pratique pharmaceutique : « Apprenez à distinguer chaque sorte de plante et à mélanger avec soin les diverses espèces de drogues… Si la langue grecque ne vous est pas familière, étudiez avant tout le livre où Dioscoride a bien traité des plantes médicinales et où il les a décrites avec une si merveilleuse exactitude ».


L’exemple de Cassiodore fut suivi non seulement par les Bénédictins, mais par les principaux ordres monastiques. Ainsi furent sauvés et transmis de précieux fragments de l’héritage antique. Sans doute doit-on  aussi aux moines d’avoir recueilli les traditions  populaires celtiques et germaniques, et d’avoir accru de la sorte les connaissances transmises  par l’antiquité. Les ouvrages de médecine – et, par suite, de pharmacie – ne furent jamais absents des bibliothèques conventuelles, à l’usage des religieux spécialement chargés du soin des malades. Parfois, les catalogues mentionnent simplement un ou plusieurs livres de « médecine »; certains les détaillent et citent Galien, Hippocrate, Quintus Serenus, Alexandre de Tralles ou indiquent qu’il s’agit de recueils de recettes pratiques pharmaceutiques.

Le goût de la compilation persista et, parmi les ouvrages les plus importants, il convient de citer, au VIIe siècle, les Étymologies d’Isidore, évêque de Séville, dans lesquelles il est question , au IVe livre, des médicaments. Au VIIIe siècle, Bède le Vénérable, prieur du cloître de Warmouth, en Angleterre, traite de médecine et de plantes médicinales dans son Histoire ecclésiastique et ses Elementa philosophae.

Le moine fait habituellement une tournée médicale hebdomadaire dans le bourg voisin de son monastère pour obéir à sa règle. Caque monastère devait donc vraisemblablement posséder un receuil de textes médicaux comme ce manuscrit carolingien, conservé à la Bibliothèque nationale, provenant de l’abbaye d’Ecternach (luxembourg). Les recettes sont très nombreuses : certaines semblent directement empruntées au De re medica de Celse ; d’autres sont, d’après l’écriture, de l’époque mérovingienne ; les plus récentes, carolingiennes, ont été copiées par le moine chargé des soins médicaux d’après les formules apportées sans doute par des pélerins ou des moines voyageurs. Au IXe siècle déjà, le moine qui dirigeait l’apothicairerie « remplie de trésors odorants » était devenu un personnage important.


6. Le mire et l’apothicaire du XIIIe siècle.

Le titre de cette carte mérite une explication : L’art de lire dans les urines s’appelait Uromancie (du grec ouron, urine, et manteia, divination). Celui qui le pratiquait était appelé « ‘maître mire » ou apothicaire spécialisé « uromate ». Ces termes subiront de multiples variations telles que myre, mirrhe et miresses (femmes exerçant la médecine. Au cours du premier examen, le mire devait goûter la matière. Trempant son doigt dans la matula et le ressortant mouillé, il le portait à sa bouche pour en évaluer la saveur. Puis il évaluer l’odeur et la couleur.

Dans la Rome antique, à Bagdad, dès le VIIIe siècle et un peu plus tard en d’autres villes de civilisation arabe, des marchands de drogue exercèrent sans doute leur métier en boutique, mais au cours du moyen âge occidental, aucune apothicairerie ne semble avoir existé avant la fin du XIe siècle. Des pigmentarii, précurseurs des apothicaires apparaissent à la fin du XIe siècle à Angers. il est généralement admis que la préparation des médicaments devint seulement un métier particulier en Occident après la fondation des universités et l’introduction des études médicales en leur sein.

 

Au cours du XIIIe siècle, le nombre des apothicaires devient important dans les principales villes de France. A Paris, en 1268, le Livre des métiers d’Etienne Boileau précise que les apothicaires ne doivent la taxe que s’ils vendent au marché et non quand ils vendent dans leurs boutiques. Les apothicaires « quivendent les cyrops et les bons laituaires » possèdent donc, dès le XIIIe siècle, une profession indépendante et les rivalités avec les métiers voisins démontreront rapidement leur belle vitalité. Le Livre des métiers est le premier texte positif indiquant les droits de chacun et il servira d’arbitre pendant cinq siècle en cas de contestations.


7. Une boutique d’apothicaire au XVe siècle

En dépit des guerres, des famines, de la peste noire, des diverses épidémies et des charlatans qui ruinent, épuisent, torturent et tuent une grande partie des populations européennes depuis le début du XIVe siècle jusqu’au milieu du XVe siècle, il est impossible de nier tout progrès. Les découvertes d’un Léonard de Vinci ou d’un Galilée continuent celles des ma^tres parisiens du XIVe siècle. L’apparition du « linge » qui s’oppose au « lange » du Moyen Âge améliore l’hygiène et fait reculer la lèpre. L’étrange personnalité de Paracelse (1493-1541) illustre peut être mieux qu’aucune autre la rupture qui se produisit dans les méthodes de pensée à l’époque de la Renaissance.

  Philosophe, théologien, astrologue, alchimiste, minéralogiste, chirurgien, médecin et pharmacologue, Paracelse a écrit sur tous les sujets et toujours a pris parti avec violence, exprimant dans un langage agressif son opinion personnelle. A l’opposé de la pharmacie ancienne qui reposait sur la composition des médicaments, la pharmacie paracelsienne se fonde sur la séparation : elle isole la vertu particulière qui exercera son action spécifique sur telle ou telle maladie. Ce n’est pas un recueil de  de traditions mais une recherche chimique. Elle doit extraire, non composer. pour soigner la pierre, Paracelse utilise la pierre (pinces de crabes, pierre de Judée, aétites, sélénite, etc.) préalablement broyée et dissoute in vitro; elle broiera et dissoudra la pierre in vivo. La doctrine des signatures donne d’utiles indications dans le choix des remèdes : la forme et la couleur d’une feuille, d’une fleur, d’une racine, permettent de déceler les affinités avec un organe ou une maladie, avec une étoile aussi. Les feuilles de l’Ortie piquent, elles doivent guérir les élancements internes. L’Euphraise ou Casse-lunettes porte l’image de l’oeil, elle soignera donc les yeux.


Deux médicaments métalliques, l’antimoine et le mercure, présentèrent une particulière importance aux yeux des hommes de la Renaissance. Au premier s’attache une légende, celle de Basile Valentin découvrant par hasard les propriétés thérapeutiques du corps au cours de ses recherches consacrées à la pierre philosophale. Ce moine d’un couvent d’Erfurt, qui vivait dans la seconde moitié du XVe siècle, aurait jeté dans l’auge des porcs des fragments d’antimoine dont il s’était servi pour activer la combustion dans ses travaux alchimiques. Il aurait constaté que les porcs, violemment purgés, grossissaient ensuite et devenaient plus vigoureux. Il aurait alors eu l’idée de tenter l’expérience sur ses frères du couvent. Tous furent malades, plusieurs moururent, d’où le nom d’antimoine, c’est à dire « contraire aux moines ». Cette étymologie est fort contestée et « antimoine » dérive plus vraisemblablement du mot arabe athmoud devenu en latin barbare antimonium. Les adversaires de l’antimoine se montrèrent très actifs et ce fut la guerre pendant plus de cent ans sur ce sujet. Par deux fois la Faculté de Paris avait considéré que c’était un poison et avait interdit sa vente aux apothicaires. Louis XIV usa de l’antimoine et s’en trouva bien. Le 10 avril 1666, un arrêt du Parlement de Paris réhabilita le métal médicamenteux et permis à « tous docteurs médecins de la Faculté de se servir dudit vin émétique pour la cure des maladies, d’en écrire et d’en disputer ». Le mercure de connut pas de telles résistances et permit rapidement de combattre avec énergie l’invasion syphilitique.

 

8. L’apothicaire-parfumeur sous Henri III

Au XVIe siècle, les pauvres gens usèrent comme les siècles précédents des médications traditionnelles pour combattre les maux dont ils étaient atteints. Les apothicaires étaient encore rares, les remèdes forts chers et les enrichissements de la pharmacie ne pouvaient profiter au menu peuple qu’au moment où ils étaient passés de mode.  L’arsenal thérapeutique ne s’enrichit pas moins de notable façon grâce aux voyages au-delà des mers qui bouleversèrent alors l’idée qu’on se faisait de l’univers. Du XVe au XVIIe siècles, de grands navigateurs, des explorateurs intrépides quittèrent l’Europe avec l’espoir de s’enrichir comme l’avait fait Venise les siècles précédents. A la fin du XVe siècle, Vasco de Gama touche la côte du Malabar et rapporte des épices valant un million de ducats. Au XVIe siècle, les Portugais deviennent les principaux fournisseurs d’épices en Europe et prélèvent d’énormes bénéfices sur la vente des noix  de muscade, de la cannelle, du girofle… qu’ils vont chercher en Asie.


Avec le XVIIe siècle commence le monde moderne dans lequel la science apporte une nouvelle conception de l’homme et de sa place dans l’univers. Les modes de raisonnement et d’observation qui s’instaurent alors se perfectionneront, s’appronfondiront mais se modifieront peu jusqu’à l’époque contemporaine. Newton, en énonçant la loi de la gravitation universelle, n’assure pas seulement le triomphe définitif de Copernic, de Kepler et de Galilée, il affermit paradoxalement la position de l’homme. Celui-ci n’est plus au centre du monde et l’objet de toutes les péoccupations divines, la terre n’est qu’une petite planète dans un univers immense.

 

Côté pharmaceutique, la profession s’exerce d’abord dans la boutique (le mot apothicairerie est rarement employé et celui de pharmacie désigne uniquement la profession). L’apothicaire qui veut créer une officine doit d’abord faire le choix d’une ville dans laquelle il pourra exercer honnêtement son art avec quelque chance de succès.

La boutique est, tout au moins au XVIe et XVIIe siècles, largement ouverte sur la rue et l’apothicaire travaille sous les yeux du public. Les maisons n’étant pas numérotées, les enseignes sont indispensables et, pour les apothicaires, reproduisent des animaux réels ou fantastiques (la licorne), des ustensiles utilisés par les apothicaires comme le mortier, des objets sans rapports avec la pharmacie : croix vertes ou blanches, chapeau rouge, etc.


L’introduction de la racine de Quinquina dans l’Ancien Continent provoqua une véritable révolution dans l’histoire de la médecine. Juan del Vego, médecin du gouverneur espagnol du Pérou, l’apporta en Espagne en 1640. Le médecin anglais Talbot le vulgarisa en France vers 1678. De grandes querelles s’engagèrent aussitôt entre les galénistes et les défenseurs du quinquina. La guérison de nombreux malades permit aux seconds de l’emporter. Helvetius, pour sa part, vulgarisa l’usage de l’Ipeca. Guérissant le dauphin malade de dysenterie grâce à l’Ipeca, il trouva le point de départ d’une fortune rapide.

Au XVIIe siècle, les apothicaires élaborent statuts et règlements de leur communauté dans presque toutes les grandes villes, ou révisent ceux déjà composés au XVIe siècle. Certaines communautés possèdent au début du XVIIe siècle leur blason, comme celle de Paris avec la devise « Lances et pondera servant ». Les charlatans, particulièrement nombreux au XVIIe siècle, occupent le Pont-Neuf à Paris et débitent baumes, onguents, chapelets, huiles et eaux merveilleuses, ainsi que le fameux Orvietan très populaire sous Louis XIV. Par ailleurs, la pharmacie militaire nait, en 1597, au premier siège d’Amiens, avec un hopital ambulant créé par Sully. A partir de 1635, les apothicaires des camps et armées sont au nombre de deux. L’ordonnance de Louis XIV sur la marine (1689) mentionnait déjà les apothicaires entretenus dans les ports.


 

Ce qui annonce vraiment, dès le XVIIIe siècle, l’avènement de la pharmacie moderne, c’est l’existence de nombreuses « spécialités », alors dénommées remèdes secrets. Pour ne citer que les plus célèbres, on peut citer l’eau de Cologne (vers 1650), l’eau de Rabel (vers 1678), le baume tranquille (vers 1680), l’élixir de Garus (avant 1719), la pommade du Régent (1767), les pilules de Belloste (vers 1681), etc. Les remèdes secrets ont donné lieu à toute une législation, et toute une littérature. Ils sont rarement l’oeuvre d’apothicaire, bien qu’Elie Seignette obtienne un brevet pour son sel polycreste (1673), que Lémery annonce son huile de talc (1680), que Clérambourg fabrique ses grains de vie ou que Baumé lance son sirop antivénérien. Les apothicaires ne tiennent aussi des dépôts de remèdes secrets qu’assez accidentellement.

Lorsqu’on moment de la Renaissance la peste et la lèpre diminuèrent notablement leurs ravages, d’autres maladies contagieuses telles que le typhus exanthématique, la suette anglaise, la syphilis surtout, occupèrent la place. Assez rapidement, après l’essai de la thériaque, du mithridate, après les prières demandant l’intervention des Saints, la thérapeutique de la syphilis entra dans sa phase définitive avec l’introduction du mercure.

 

Au XVIIIe siècle encore, il constitue l’éléments essentiel des multiples remèdes proposés aux « pauvres vérolés ». Peut-on ne pas citer ces gâteaux toniques mercuriels du sieur Bru (1789), ces chocolats, dragées, tablettes, ratafiasantivénériens, ces « caleçons antivénériens de Lefebvre de Saint-Ildefont ?

Grâce à ces précieux médicaments, le mari volage peut, par exemple, « prendre son chocolat en présence de son épouse sans que celle-ci soupçonne de mystère ; elle peut même en user sans se douter de boire un antivénérien et par cet innocent moyen, la paix et la concorde subsistent dans le ménage ».


 L’arsenal thérapeutique s’enrichit, au début du XIXe siècle, de nouveaux médicaments particulièrement efficaces. En 1804, simultanément Séguin aidé par Bernard Courtois et Derosne découvrirent la morphine, premier alcaloïde connu. Puis, en 1809, Posselt et Reimann tirèrent de la nicotiane la nicotine.

 En 1817, l’émétine fut isolée, en 1819, la brucine et la caféine… Le 11 septembre 1820, les pharmaciens Pelletier et Caventou communiquèrent à l’Académie des Sciences leur découverte de la quinine. « Nous espérons, écrivaient-ils à la fin de leur communication, que quelque praticien habile, joignant la prudence à la sagacité, fera des recherches thérapeutiques sur les alcalis du Quinquina et donnera ainsi à notre travail une utilité médicale ».

Le développement de la chimie organique permit à Gay-Lussac de découvrir l’iodure d’éthyle en 1816, à Sérullas de découvrir en 1822 l’iodoforme et, en 1831, le chloroforme fut connu s’il ne fut utilisé en anesthésie qu’en 1847. Courtois, salpétrier à Paris, isola l’iode, en 1811, des eaux mères des soudes de Varechs. Balard découvrit le brome en 1826 et Swann la pepsine en 1834.


 

Depuis la fin du XIXe siècle, les moyens de combattre les maladies ont progressé en même temps que se développaient les connaissances en pathologie. Des maladies à virus de plus en plus nombreuses étaient décelées, mais les ressources thérapeutiques croissaient aussi : la fin des hécatombes enfantines, la prolongation du niveau de vie démontrent assez leur efficacité. La vaccination n’a cessé de progresser depuis Pasteur et l’injection faite le 6 juillet 1885 au jeune Joseph Meister qu’un chien enragé avait mordu : vaccination contre la fièvre thypoïde par injection de germes tués, imaginée en 1888 par Chantemesse et Widal, perfectionnée par A.E. Wright en 1896 ; vaccination contre le choléra en 1888 par le Russe Nicolas Camaleïa et contre la peste en 1895 par le Russe W.M. Haffkine ; vaccination contre la tuberculose grâce au bacille bovin atténué de Calmette et Guérin en 1921-1922 ; vaccination contre la fièvre jaune en 1932 et 1937 et contre le typhus exanthématique (1939-1941) ; contre la coqueluche (1931-1933), contre la rougeole (1954)…

 

 

A la fin du XIXe siècle, on voit le développement de l’Opothérapie. Opothérapie vient du grec opos (suc) et therapeía (traitement). Ce terme désigne donc l’utilisation thérapeutique d’organes ou d’extraits d’organes d’origine animale. Dans l’Antiquité, les Indiens, les Chinois, les Hébreux, les Grecs et les Arabes ont tous utilisés des organes d’animaux pour traiter les patients. Ces traditions vont se perpétuer au Moyen-Âge et plus encore à la Renaissance pour tomber en désuétude ensuite, même si la médecine populaire en conservait le souvenir. Parmi les médicaments les plus notoires dans ce domaine, il faut citer la thériaque, à base de vipère, qui était censé être un contrepoison efficace et un médicament capable de traiter la plupart des maladies.La seconde moitié du XIXe siècle et plus encore le XXe siècle vont changer la donne grâce aux découvertes progressives sur les hormones dont le nom apparait pour la première fois en 1905 sous la plume de de Bayliss et Starling. Au XIXe siècle, Claude Bernard puis Brown-Sequard avaient ouvert la voie de l’endocrinologie moderne (ce terme date de 1912). De nombreux travaux vont se faire dans tous les pays et aboutir à la découverte de l’adrénaline, la thyroïdine, l’insuline, etc.


 Dans la lutte contre la souffrance et la maladie, une nouvelle thérapeutique anti-infectieuse, la chimiothérapie, présente une grande importance. En 1908 est faite la synthèse de la sulfanilamide ; en 1913, Eisenberg étudie l’action bactéricide de certains colorants. L’action antiseptique du chlorhydrate de sulfamido-chrysoïdine découverte par Domagk, Levaditi, Vaisman… vers 1935, permit bientôt d’obtenir des résultats remarquables contre les maladies infectieuses. Ce chlorhydrate reçut en Allemagne le nom de Prontosil, en France, de Rubiazol.  

Après l’utilisation de la pénicilline à la fin de la deuxième guerre mondiale, en 1943-1944 commence la combinaison des produits de synthèse chimique et d’un puissant antibiotique, la streptomycine, dans la lutte contre la tuberculose. C’est d’abord l’acide para-amino-salicylique (P.A.S.) et le sel de sodium de cet acide (B.P.A.S.), puis en 1950, l’acide isonicotinique ou isoniazide (I.N.H.) se révèle antituberculeux chimique le plus efficace.

De très nombreuses autres découvertes de médicaments tout au long du XIXe et XXe siècle vont progressivement changer radicalement l’approche médicale des maladies dans tous les domaines : pathologies infectieuses, neurologiques, cancer, allergies, troubles métaboliques, etc. Les recherches les plus récentes conduisent à une médecine de précision qui tend à adapter les traitements aux caractéristiques génétiques des individus en utilisant souvent des médicaments d’origine biologique (anticorps par exemple).

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