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Un tryptique breton des saints Côme et Damien

 Exposition temporaire

Un triptyque Breton
des Saints
Côme et Damien


Vue d’ensemble du triptyque

 

Coll. Château-musée de Dinan
Ville de Dinan

d’après un texte
de P.Julien, Janus, 1970

   

Ce polyptyque, conservé en Bretagne, au Musée de Dinan (Côtes d’Armor), est entièrement consacré à la vie et au martyre des saints Côme et Damien1. En son état actuel, il se compose de quatre volets précédemment articulés et comportant chacun trois compartiments disposés verticalement. les compartiments sont de dimensions légèrement variables : environ 50 à 52 cm de haut et 42 à 45 cm de large. Le fond en forme une cuvette profonde d’environ 3 cm. C’est dire qu’ils sont sculptés en très bas relief. La polychromie est restée très vive : les personnages sont presque tous uniformément rouge  et or; les autres couleurs sont peu nombreuses (noir, blanc et vert essentiellement). Sans doute s’est-il ajouté , soit à l’origine, soit ultérieurement, une peinture de fond : il en subsiste des traces dans la cinquième scène.
 
 
 

 

 Guérison d’une femme (à gauche) : Cette première scène est la seule de la série dont l’interprétation fasse difficulté. Elle met en présence une femme, un genou en terre, et l’un des saints médecins. Ce dernier fait sur elle un geste de bénédiction. mais elle, bien que son attitude générale soit d’imploration, détourne ostensiblement la tête. Pourquoi ? Pourquoi un seul des deux saints ? Qui sont les six personnages du second plan dont les regards convergent vers la femme, et en particulier l’homme en courte cape coiffé d’une couronne ? Autant de questions auxquelles on ne trouve pas de réponses.

Le présent de Palladie à Damien (à droite) : En signe de reconnaissance, Palladie offrit à saint Damien trois oeufs selon les Acta sanctorum, un petit présent selon la Légende dorée. il n’accepta ce don – contrairement à sa mission de « gratuit secoureur », d' »anargyre » – que pour ne pas paraître mépriser les bonnes intentions de la pauvre femme. mais dès que son frère l’apprit, il entra en colère et il fallut pas moins qu’une intervention divine pour l’en faire revenir.

Dans notre polyptyque, la bourse offerte par Palladie se détache au centre de la scène; sa couleur noire tranche sur l’ensemble rouge et or. Dans un élan bien rendu par le sculpteur, Palladie vient de la remettre à Damien, dont la gêne est manifeste. En revanche, il est surprenant que Côme assiste à la scène sans réagir. Sa place eut été plutôt dans le panneau précédent. On peut aussi se demander, ici encore, qui sont les personnages de l’arrière-plan, en particulier l’homme coiffé du turban attribué dans les scènes suivantes au Proconsul Lysias. L’appartenance professionnelle des deux saints est bien marquée dans la présente scène par leurs costumes : robe longue de docteur, cape avec une sorte de camail et surtout bonnet carré de docteur. 
 

 

 Les saints, médecins des animaux (à gauche) : Médecins des hommes dans les deux premièrs tableaux , Côme et Damien sont ici figurés en médecins des animaux. en présence d’un spectateur, ils bénissent trois animaux couchés à leurs pieds : alors que la vache, assez bien rendue, repose le mufle sur le sol, le cheval dresse fièrement la tête et tend la patte droite. pour bien manifester l’origine du pouvoir des saints, Dieu apparaît dans un nuage, avec le globe terrestre sur les genoux.

Les saints invités à adorer les idoles(à droite) : De part et d’autre d’une colonne surmontée d’un veau d’or, deux groupes. A la tête de celui de droite, le proconsul romain Lysias, en cuirasse et turban, barbe fleuve, tenant un bâton en guise de sceptre, invite les saints à adorer cette idole. A la tête de celui de gauche, Côme et Damien, l’un cette fois en robe courte, argumente en réponse à cet ordre.  Les trois personnages qui les accompagnent pourraient être leurs trois frères Anthime, Léonce et Euprèpe. 

 

 

   Les saints condamnés par Lysias (à gauche) : Dans son palais, assis sur un trône orné d’un oiseau, sous un dais, Lysias, assisté d’un conseiller ou d’un exécutant, ordonne que les saints soient chargés de chaîne et jetés à la mer. Déjà, ils sont au mains de deux soldats casqués qui leur ont lié les mains avec une énorme corde.

Les saints jetés à la mer et sauvés (à droite) : Dieu, que l’on voit dans le ciel levant la main, la main gauche -inadvertance !, en signe de bénédiction, a envoyé un ange pour sauver les saints de la noyade. L’un d’eux est déjà ressorti sain et sauf; les soldats s’en sont emparés et le ligotent avec une corde démesurée. L’autre, les mains jointes, émerge des flots, soutenu par l’ange aux ailes déployées.

 
 

La lapidation (à gauche) : Les deux saints sont agenouillés, au centre, torse nu. De chaque côté, un bourreau prend son élan pour leur jeter d’énormes pierres. L’effort de celui de gauche est particulièrement bien rendu au point de vue anatomique. L’un des deux personnages du fond, à la mine renfrognée, est vraisemblablement Lysias.

Le supplice du feu (à droite) : Sous les yeux du proconsul, assis sur un trône raffiné, et de deux conseillers (dont un militaire), Côme et Damien subissent les flammes d’un énorme brasier rougeoyant. Tout à leur prière, ils semblent indifférents au feu et narguent Lysias. La protection céleste se manifeste par l’ange qui partage leur sort en veillant sur eux.

La Légende dorée rapporte que lors de la lapidation les pierres revenaient frapper les bourreaux : faute de place, le sculpteur n’a pu retenir ce détail dans la scène précédente. Elle indique aussi que les flammes n’atteignirent que les paiens. Ici, le fait a été retenu par le sculpteur : au premier plan, un bourreau en tunique, renversé, est atteint par elles. 

 

  Comparution devant Lysias (à gauche) : les saints, les mains liées,  sont présentés par un soldat au proconsul, entouré de deux conseillers. Après de vaines tentatives de Lysias pour les ramener à la raison, ils sont condamnés à de nouveaux tourments.

La crucifixion : (à droite) : Particulièrement maladroit aussi par la disproportion entre les crucifiés et les quatre assistants, ce tableau montre les deux saints, vêtus seulement d’un périzonium, comme le Christ, solidement attachés à une croix latine. Parmi les quatre assistants, on reconnait le proconsul à son turban et à son sceptre.

 
   

Lysias tourmenté par les démons (à gauche) : Cette avant-dernière scène est la plus originale, pour ne pas dire unique. Deux grands démons à la tête grimaçante surmontée de cornes, aux pattes crochues, le corps noir et rouge tout parsemé de pustules blanches, frappent Lysias à coup de gourdins, avec un entrain non dissimulé. Le proconsul, dont le visage trahit la douleur, est tout taché de gouttes de sang. l’artiste s’est manifestement abandonné avec délectation à son imagination.

Mais il n’a fait que développer un passage de la légende qui se situe après que les saints aient été sauvés par les flots : comme les saints sont alors traduits à nouveau devant Lysias, celui-ci leur demande de lui enseigner leurs sortilèges, et aussitôt deux démons s’emparent de lui, le frappent au visage et ne disparaissent qu’à la prière des saints.

La décollation (à droite) : Dominée par la haute stature du bourreau, qui a pris ses aises (chemisette et culotte courte) et qui manie avec ardeur un gigantesque cimeterre, cette scène finale prend une allure de carnage. Quatre des cinq frères ont déjà été exécutés. Leurs têtes jonchent le sol, d’ailleurs bizarrement réparties, et de leur col tranché les gouttes de sang jaillissent encore. Le même sort attend le cinquième, agenouillé les bras croisés.

Cet ensemble n’est pas l’oeuvre d’un grand artiste, mais manifestement d’un tailleur d’images, d’un huchier local : il peine souvent à disposer ses scènes ; il s’embarasse dans les groupes et dans la perspective ; les gestes sont souvent maladroits, les proportions faussées. la vivacité de l’enluminure achève de donner une impression d’image d’Epinal. Mais quelle saveur dans la rusticité, dans la naïveté, dans la spontaneité d’invention ! Au reste, l’auteur connait bien son sujet et fait preuve d’originalité dans le choix des scènes. Si les quelques divergences entre l’ordre qu’il suit et le déroulement du récit de la Légende peuvent être fortuites, les scènes de la bénédiction des animaux et surtout des tourments de Lysias relèvent d’un choix personnel. 

Dater l’oeuvre est malaisé. Le catalogue de l’exposition Trésors d’art sacré en Haute Bretagne du XIIe au XVIIIe siècle propose fin du XVe-début du XVIe siècle. Quoiqu’il en soit, ces panneaux sont un élément important dans l’iconographie des deux saints. Rares sont en effet les ensembles consacrés en France à leur vie, à leur martyre ou à leurs miracles. Par chance l’origine de ce polytriptyque est connue. Acquis pour le Musée de Dinan par la Société des amis des arts en 1913, il provient de la chapelle Saint-Maudez, au lieu-dit Nac’h Ghuen ou Gwenn, dans la paroisse de Lennon, au centre du département actuel du finistère. cet ermitage reconstruit au XVIe siècle et restauré en 1692 possédait très probablement au moins un autel dédié aux saints Côme et Damien 

Pour aller plus loin sur Côme et Damien, voir aussi la page du site de la SHP : http://www.shp-asso.org/index.php?PAGE=come, ou en cliquant sur ce lien COME ET DAMIEN
Voir également les très nombreux articles parus dans la Revue d’histoire de la pharmacie

1. nous remercions le Musée de Dinan de nous avoir autorisé à reproduire ce triptyque en couleur, ce qui n’était pas le cas dans l’article original de Janus en 1970

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